Comment aimer quand c’est la fin du monde ?
Exposition de D.N.S.E.P, Les ateliers grand format, rue Frédécric Sauvage, 2022

« Abnéga¹,dis moi pourquoi je pense autant à la fin ? Est-ce ce qui me tient à la vie ? 
Je ne veux rien dire, je n’ai rien à dire. Je vis seulement à travers les états.
 Au travers de la matière qui se décompose encore et encore. 
Abnéga, mon amour, pourquoi veux-tu que je chante si fort quand tout est voué à retourner à la cendre ? 
Abnéga, regarde comme c’est beau ! 
Je me fondrais en un million de perles nacrées et serais un monstre, comme toi.» 

J’ai conçu mon installation de D.N.S.E.P, en partie in situ, comme un espace symbolique de méditation sur notre rapport au vivant, à sa métamorphose, à ses cycles de vie et de mort; où des corps hybrides se déploient à la manière d’un système racinaire, nous invitant ainsi à ralentir.  
Sensible à la question du déchet dans l’art, j’ai développé une pratique de l’installation, de la sculpture, de la vidéo et de l’écriture. Une pratique sculpturale essentiellement auto-produite à partir de matériaux organiques.
Ayant des allures à la fois de sorcellerie et de pseudo-science, l’espace est comme un bouillon de cultures. Des souches-mères de kombucha², matière première de mes pièces, se développent dans des liquides dont l’apparence menaçante et toxique viennent questionner sur cette notion de déchet qui m’obsède. 
Je fantasme des formes hybrides et de nouvelles matérialités par la fusion du minéral, du végétal, des bactéries.  J’ai choisi d’exposer mon travail dans nos ateliers de master et de l’habiter en cocon ; un cocon à l’image du monde: en perpétuelle mutation.³ 
Dans cet espace, plusieurs formes se déploient et passent de l’état liquide à l’état solide jusqu’à l’ingestion. J’introduis cette exposition de D.N.S.E.P par la dégustation du kombucha dès l’arrivée du jury autour de la lecture d’une poésie. J’ai choisi de ritualiser ce moment afin de projeter le spectateur dans un état de conscience autre, plus propice à l’introspection et ainsi ancrer la dimension poétique et romantique de mon travail. 
¹ Abnega est une entité fictive, symbole de résilience. Née du feu, elle passe de forme en forme au travers les flux. Son nom vient du mot abnégation : sacrifice total au bénéfice d’autrui.
² Les souches-mères de kombucha sont également appelées : S.C.O.B.Y ( symbiotic cultures of bacteries and yeast ).
³ Le cocon est la démonstration vivante qu’un environnement, un monde, ne se limite pas à une géométrie à laquelle s’adapter, mais est un laboratoire dans lequel se réinventent, dès le départ, géométrie et forme. Coccia, Emanuele. Métamorphoses. Rivages.  
La rencontre
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grand formats, rue Frédéric Sauvage, 2022

chaux, sable, fibre de sisale, cire d’abeille, porcelaine, kombucha, dimension table: 90x60x80cm

La rencontre est la première installation par laquelle on rentre en contact avec l’espace, elle est composée d’une table en chaux, fibre et sable, pouvant évoquer un autel par sa dimension. 
Sur cette table sont disposées des tasses en porcelaine dans lesquelles je propose du kombucha : boisson enrichie en probiotiques, autour de la lecture de ma poésie sur l’entité fictive Abnega. 
Cette boisson enrichie en probiotiques dans laquelle  mes matières premières se développent, vient habiter notre corps, entrer en contact avec notre microbote et invite ainsi à repenser les frontières entre l’oeuvre et le spectateur. Une exploration symbiotique sans hiérarchies entre le visible et le non visible qui nous habite et habite le monde. 
La table se déploie dans tout l’espace de manière racinaire, colonisant ainsi le sol et les murs.​​​​​​​
photo©Anaïs Leroy
La rencontre,détail, vue d’exposition D.S.N.E.P, Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage,  2022, photo: ©Dimitri Ozanski
Enfanter l’obscur
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022
chaux, sable, fibre de sisale, ampoule chauffante, tissu coton, S.C.O.B.Y  ( symbiotic culture of bacteries and yeast), kombucha , dimensions : bacs : 74X60X14cm,80X53X14cm,70x60x13cm, tissu : 150X400 cm
Enfanter l’obscur est une installation composée de trois bacs où des « souches mères » (S.C.O.B.Y) se développent. J’utilise volontairement le mot souche-mère car il y a une idée de gestation, de transmission. Chaque souche a son individualité et épouse la forme du bac dans lequel elle se développe. La lampe vient réchauffer les souches-mères pour les protéger lors de l’exposition. Le voile est également là dans une dimension de protection.
Les bacs sont faits en chaux, fibre de sisale et sable : un mélange utilisé pour la construction d’habitats sains, durables et plus respectueux de l’environnement. Cette matière se transforme en pierre avec le temps par processus de carbonatation. 
photo©Anaïs Leroy
Enfanter l’obscur, détail, Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Anaïs Leroy
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Anaïs Leroy
À nos corps mutants
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage,  2022
chaux, sable, fibre de sisale, S.C.O.B.Y, résines végétales, cire, pigments, corde de chanvre, glycérine végétale 
dimensions: cocon1,110x60x50cm/cocon2, 110x60x45cm/cocon3,60x40x25cm/cocon 4,30x25x25cm/cocon 5,100x25x10cm/cocon 6, 100x60x40cm

À nos corps mutants est une installation où  plusieurs formes évoquant des cocons sont suspendues, tenant ensemble dans un rapport de tension par des cordes de chanvre enduites de glycérine. Chaque cocon possède un squelette de chaux, matière se transformant en pierre avec les années, par processus de carbonatation. Ces squelettes sont recouverts par strates, de souches-mères, comme des membranes. 
Certaines strates sont vieilles de deux ans, certaines de plusieurs jours, d’autres ont été appliquées le jour même de l’exposition du diplôme. Ces formes hybrides sont ambiguës, elles sèchent et se renouvellent à chaque geste. Elles signifient aussi bien le début que la fin. Elles sont en mutation. La suspension évoque un état de transition. Elles forment un ensemble, nouées de manière organique dans un jeu de continuités et discontinuités de l’espace. Il y a une forme de fragilité, de précarité. Chaque noeud est travaillé à la glycérine donnant une dimension sculpturale au système d’accroche. 
Je travaille par strates de manière picturale, des pigments ou d’autres matières résineuses sont incorporés, il y a un côté aléatoire de l’orde du laisser-faire. Les nouvelles strates absorbent les dernières. Elles évoluent à l’image d’un corps : lentement. 
J’ai fantasmé à travers cette installation des formes de vie ni minérales, ni végétales, ni animales où des corps en engendrent d’autres sans fin. 
J’ai une approche picturale de la sculpture, inspirée des chairs de cire de Berlinde de Bruychere ou encore des Technological Reliquaries de Paul Thek; artiste dont je partage la même expérience marquante de la vision des catacombes des capucins à Palerme. La matérialité des corps exposés dans ce lieu  influencera ma pratique.  
À nos corps mutants, cocon1,détail,vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Anaïs Leroy
À nos corps mutants, cocon3,détail,vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Anaïs Leroy
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage,  2022, photo©Anaïs Leroy
À nos corps mutants, cocon2,détail,vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Anaïs Leroy
Les ailes du désir
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022
papier kraft, pigments minéraux, résines végétales, bois, verre, cuivre, sulfate de cuivre, S.C.O.B.Y, cire d’abeilles
plaque de verre: 80x60cm, kraft: 400x110cm
Les ailes du désir est une exploration d’un autre type de poétique des matériaux : celle de l’oxydation. Elle dessine un autre paysage, comme un monde dans un monde. 
Cette installation est comme un point de fuite dans l’espace, un chemin vers une autre intériorité. L’aile de cuivre s’oxyde lentement, dans l’espoir de produire du vert-de-gris, emprisonnée entre le verre et une fine membrane.
Les ailes du désir, vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage,  2022, photo©Anaïs Leroy
Les ailes du désir, vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Anaïs Leroy
Vue d’exposition D.S.N.E.P, Comment aimer quand c’est la fin du monde ?,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Dimitri Otanski
Abnega
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage,  2022
vidéo projetée sur bâche en plastique

Abnega naît d’un rapport amoureux au déclin. Elle naît du feu et passe par les flux. J’exprime à travers cette vidéo un rapport romantique à l’idée de fin. Ce geste rituel est un écho aux natures mortes et autres vanités. 
L’image se déforme de par la légèreté du voile à chaque passage des spectateurs. Comme une membrane, elle semble animer le souffle du feu. Les tissus sont comme des suaires qui s’étendent dans l’espace et viennent habiter chaque recoin de l’architecture du lieu.
Abnega, vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage,  2022, photo©Anaïs Leroy
Vue d’exposition D.S.N.E.P,  Les ateliers grands formats, rue Frédéric Sauvage, 2022, photo©Anaïs Leroy
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